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  le blog diacreauservicedelapaix

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Un diacre de l'Eglise catholique s'exprime sur la société, sur l'Eglise, sur la paix.


Le symptôme radical

Publié par Max sur 23 Novembre 2021, 09:19am

Catégories : #société

Encore une très belle et juste réflexion de Frédéric Boyer in La Croix du 13 novembre 2021

Le symptôme radical

Frédéric Boyer, écrivain

Nous avons peur de la vie. De sa prolifération, de son désordre et des transformations qu’elle imagine pour occuper les temps et les lieux. Souvent, devant cette poussée furieuse, nous préférons construire des digues et des murailles. C’est vrai en politique comme dans l’intimité de chacun. Pourtant vivre ressemble plus souvent à cela : ne pas savoir, en avançant de plus en plus loin dans l’existence, quels coups on va recevoir – et donner aussi –, quels risques on court, quels précipices nous côtoyons comme des aveugles inconscients, et qui devient-on à force, selon les issues que l’on découvre – ou que l’on cherche en vain– et celles dont on accepte un jour qu’elles ne nous conduiraient nulle part, quels souvenirs tiennent et ceux qu’il est préférable d’oublier… La vérité nue de la vie, vous ne l’atteignez qu’au cœur indéfini de ces zones d’incertitude d’une délicatesse extrême, où il faut apprendre à discerner, à faire des compromis, ouvrir des voies légères et précaires pour avancer de quelques pas encore et préserver le meilleur, disons le moins pire.

À l’opposé, l’actualité récente nous envahit de discours martiaux, radicaux, justifiés par la volonté de « dire ce que tout le monde pense tout bas ». Formule ambiguë et dangereuse, car ce n’est jamais sans raison qu’une certaine pudeur nous intime de garder le silence sur des désirs, des pensées dont finalement nous devons redouter les effets. La dignité d’une femme ou d’un homme politique ne peut pas se résumer à ce déballage grossier, violent de nos peurs, de nos pulsions, de nos incompréhensions. Nous n’éradiquerons pas la délinquance, l’incivilité, la misère par le seul aveu pitoyable de notre peur et de notre haine. Nous ne réglerons pas les difficiles questions des tensions migratoires par des amalgames destructeurs. Dans le fond, nous savons que la vie n’est pas cela. Que faire violence à qui se meut, à qui lutte pour sa survie, à qui tente de percer une issue, à qui se perd et désespère, c’est toujours accroître misérablement la violence elle-même. Les solutions radicales ne sont que le symptôme de notre absence de courage devant la vie. Le vrai courage et le vrai combat, c’est vouloir la nuance, accepter de ne pas tout savoir, dompter nos terreurs et nos pulsions. Vouloir soulager la souffrance de vivre, interroger les métamorphoses du monde, reconnaître les problèmes brûlants de la vie commune, sans céder à la haine et à la peur collectives. On voudrait nous faire croire qu’il est impossible de vivre ensemble, de résoudre avec patience et compassion la complexité de nos sociétés en crise. On nous précipite vers l’abîme, comme les moutons de Panurge. On voudrait affoler la machine en ressassant un passé imaginaire.

L’audace serait d’avancer avec patience, de savoir qu’on ne règle rien d’un coup de menton ni par des certitudes fantasmées quant à notre histoire. Cela n’implique ni acceptation ni résignation : on n’y trouverait plus la force de vivre. Mais cela peut renaître d’un calme inattendu, d’une douceur volontaire pour bâtir de nouveaux accords. Désolé, mais on ne fonde rien sur l’exclusion et le refus. Il faut être plus inventif et accepter l’incertitude, vivre les tensions, explorer des solutions en sachant que tout est possible, et pas toujours le pire. L’exercice nécessaire de l’autorité ne peut convaincre qu’en partageant ensemble ses effets. Notre société souffre d’un Alzheimer géant, où remontent nos pulsions les plus archaïques, pour nous protéger illusoirement du désordre présent, et surtout de notre propre désorientation. Quelles forces vitales viennent à nous manquer pour que nous ne puissions imaginer participer activement à la vie qui vient, au monde qui se réinvente, autrement qu’en nous enfermant dans une radicalité, symptôme de notre peur de vivre ?

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