La condition chrétienne est risquée

Du Père Michel Dagras (Pax Christi Toulouse)

Après l’attentat contre Charlie Hebdo, voici celui, inopinément avorté, qui visait des chrétiens. Liberté d’expression et liberté de conscience, mêmes cibles pour les kalachnikov islamistes ! Le terroriste qui projetait de faire ce carton monstrueux s’est tiré – presque au sens propre – une balle dans le pied. Le drame n’a pas eu lieu. On imagine la frayeur et l’horreur rétrospectives des fidèles concernés.

Jusqu’alors les persécutions répandaient leurs tragédies en Irak, en Syrie, au Nigeria… et dans d’autres pays loin de chez nous. Leur menace a désormais franchi nos frontières. Une conjonction sidérante d’ignorance et de brutalité la motive.

D’ignorance par une lecture frelatée du Coran et la réactivation de griefs ancestraux pour justifier revanches et vengeances contre des groupes jugés solidaires d’exactions médiévales. Tous, chrétiens d’Orient et d’Occident sont alors mis dans le même sac, et soumis à la brutalité de lâches capables de tirer sur des innocents réunis pour prier.

La réaction des victimes potentielles est toute de sagesse et de calme, de courage aussi, dans le refus de la peur et du repli[1] et celui d’entrer sur le terrain de la violence où voudrait l’entraîner l’agresseur.

La condition chrétienne est risquée. Elle fait souvent l’objet de critiques, de contestations décapantes, parfois injustes. Occasion d’épingler des dérives de la foi hors des chemins de l’Évangile et de se recentrer sur l’essentiel pour remettre en lumière des vérités méconnues, parfois tenues sous le boisseau ou caricaturées.

Pourtant un pas qualitatif est franchi quand les chrétiens se trouvent assimilés à un Occident considéré comme pétri de matérialisme et d’immoralité. Les combattre s’érige alors en norme. En Orient d’abord puis partout où les territoires d’Islam n’ont pas encore purifié ceux de la guerre[2]. Et les meneurs de Daech de déclarer : Lève ton épée contre la croix qui commence déjà à disparaître[3].

Chrétiens, yazidis, juifs, chiites et autres croyants sont aujourd’hui dans le collimateur des tueurs ! Nous nous éprouvons brusquement frères et sœurs de ces persécutés lointains. Ils suscitaient jusqu’ici notre compassion (souvent timide ), soulevaient notre indignation (au moins verbale) et stimulaient aides et accueils (sans nous bousculer comme une marée d’immigrés).

Quelles solutions pour les indignés démunis de pouvoir que nous sommes ? La priorité est de mettre hors d’état de nuire ces tueurs au regard mort ! En leur fermant le robinet de la vente des armes ? En durcissant des frappes aériennes et en soutenant des milices locales ?… Autant de pis aller, qui ajoutent la guerre à la guerre ! Il s’agit pour nous tous d’activer dans l’ordinaire de la vie quotidienne le combat des forces de vie contre celles de mort. Mais comment faire triompher la vie quand l’autre se fait menaçant, capable de dommages physiques ou morales, se révélant ainsi lui-même atteint par le mal qu’il porte ?

A Villejuif, les religions répondent, pour leur part, à ces questions en faisant bloc contre le terrorisme et en décidant de dialoguer encore plus qu’avant. L’exemple est à traduire et propager. Il active la tolérance et le respect mutuel, comme de forts antidotes contre les préjugés et la violence. Il s’adosse à un certain sens de l’homme, plus fort que les pires épreuves, fut-ce celle de la mort.

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[1] Titre du journal La Croix du 24 avril 2015

[2] Dar al-Islam et Dar al-Harb désignent respectivement les pays de régime ou de majorité islamique et le reste du monde.

[3] cf. Wikipédia